Pour célébrer le premier anniversaire de la galerie Wallworks, Claude Kunetz présente une exposition collective de graffiti sur mobilier urbain avec 19 street artistes : Crash, JonOne, Sonic (Etats-Unis), Scope (Singapour), Alex, Ceet, Colorz, Der, Dizer, Fenx, Gilbert, Juan, Kongo, Lazoo, Nebay, Oeno, Poes, Rest
Galerie Wallworks, 4 rue Martel 75010 Paris – Métro Bonne Nouvelle – (lundi au samedi de 14h à 19h)
Le graff sort de la rue mais surtout de son mode usuel de présentation en galerie… pour mieux y revenir ! Les 19 graffeurs ne s’expriment ni dans la rue ni sur toile, mais sur mobilier urbain vintage – plaques de rue, plans de métro, cabines téléphoniques, plaques émail- lées de stations de métro, sièges et portes de métro, feux signalétiques, panneaux de signalisation, plaques et arrêts de bus, boîtes aux lettres, etc. – et mobilier urbain contemporain, de la poubelle à la plaque d’égout, en passant par le lampadaire public.
Avant de se retrouver au musée, les street artistes ont commencé en posant des tags (leur signature) et en marquant le territoire de leurs graffs sur les murs et sur les trains. Parmi les 19 artistes présentés, le pionnier du graffiti new-yorkais Sonic (né en 1961) commence à peindre en 1973 sur la ligne 5 du métro. Déjà, ses graffs basés sur le lettrage mêlent parfois la figure. Crash (né en 1961) peint les trains de New York dès 1975 avant de définitivement se consacrer à la toile en 1982. JonOne (né en 1963) se fait quant à lui d’abord un nom sur les murs du quartier de Harlem, toujours à New York, avant de gagner la France en 1987 où il est aujourd’hui l’un des acteurs majeurs de la scène parisienne.
A Paris, les français reprennent le principe new yorkais des crews, ces “bandes” permettant aux graffeurs d’agir à plusieurs. A la fin des années 1980, Nebay (né en 1973) sévit au sein du crew JTC100 (Je cours toujours à 100 à l’heure). Dans les années 1990, le crew MAC (Mort Aux Cons) réunit entre autres Alex (né en 1973), Lazoo (né en 1969), Juan et Kongo (né en 1969) qui co-fondera par la suite le festival international de graffiti Kosmopolite à Bagnolet. De son côté, l’autodidacte Colorz laisse son empreinte «vandale» sur les murs de Paris depuis 1987 avant de poursuivre son travail de la matière et de la couleur sur tous supports à partir de 2005.
En 2009, les grandes expositions parisiennes Né dans la rue – Graffiti à la Fondation Cartier et TAG au Grand Palais ont largement contribué à changer la perception de l’art du graffiti, emboîtant le pas aux galeries et aux maisons de vente qui l’ont depuis imposé sur le marché de l’art. L’industrie du luxe n’est pas en reste avec des maisons comme Prada ou Hermès qui s’entichent d’art urbain pour mieux imposer leur griffe. Swatch a par exemple fait appel aux street artistes du monde entier, dont le toulousain Tilt, pour la réalisation de ses collections de montres, et Hermès a récemment demandé à Kongo le design d’une série de huit de ses célèbres carrés en soie.
Tous ont cependant débuté en bravant l’interdit pour laisser leur empreinte dans l’espace urbain. Il faut rappeler qu’en France l’article 322-1 du Code Pénal va jusqu’à prévoir une amende de 30000 € et une punition pouvant atteindre deux ans d’emprisonnement pour « le fait de tracer des inscriptions, des signes ou des dessins, sans autorisation préalable, sur les façades, les véhicules, les voies publiques ou le mobilier urbain. »
En réunissant ces 19 graffeurs, principalement français et américains, l’exposition Ne pas effacer fait en premier lieu référence à la lutte anti-graffiti. La participation du singapourien Scope prend ici une dimension manifeste quand on sait que, contrairement à la France, ce petit Etat applique réellement des peines d’emprisonnement ferme pour le moindre tag. Cette exposition est aussi l’occasion pour ces 19 artistes, passés des murs de la rue à ceux de la galerie, de renouer avec des supports issus de l’environnement urbain en tous genres et… vintage !
Ainsi Kongo peignant un siège de première classe de nos anciens métros vert et rouge, Colorz taguant le plan de métro lumineux qui orientait les usagers à la station Bonne Nouvelle, ou encore JonOne s’appropriant la plaque (en émail Laborde) de la station Guy Môquet qu’il empruntait tant lorsqu’il est arrivé à Paris.
Jouant avec les interdits et les auto- risations, l’exposition Ne pas effacer questionne avant tout la notion de valeur – qu’il s’agisse de l’intérêt de l’industrie du luxe, de l’envolée des prix en salles des ventes ou du montant dispropor- tionné des amendes encourues – en regard d’autres valeurs plus humaines, sociétales ou esthétiques. Car si le geste n’est plus gratuit et les œuvres bien en vente, les artistes continuent de créer en faisant évoluer leur art pour s’adapter à une époque où leur mode d’expression est devenu un phénomène.